L’avis de l’expert est une série d’entretiens menés par RingCentral auprès de leaders d’opinion du monde entier, notamment des consultants et des analystes spécialistes des communications unifiées et de l’expérience client. Dans cette série, nous nous intéressons aux grandes problématiques du moment en termes d’UCaaS et de CCaaS.
Ce mois-ci, nous avons interrogé Nerys Corfield, directrice de Injection Consulting et consultante, sur l’essor de l’IA et son impact sur les centres de contact, plus particulièrement sur le rôle de leurs agents.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours et votre expérience dans le secteur des centres de contact ?
Bien sûr. J’ai passé 18 ans dans l’externalisation des centres de contact, avec de nombreux clients très différents. Dans 70 % des cas environ, mon travail consistait à traiter des contacts entrants, le reste des contacts sortants. J’ai travaillé pour de très grandes entreprises dans différents secteurs, notamment les télécommunications, les services publics, l’automobile et l’éducation.
Assez vite dans ma carrière, j’ai été responsable de l’assistance à la clientèle, de l’activité commerciale et de la fourniture opérationnelle du service externalisé. C’est un environnement très exigeant, avec une multitude de clients et de défis à relever, et qui vous impose de rechercher en permanence l’excellence et la performance.
En 2015, je me suis mise à mon compte comme consultante indépendante. J’ai travaillé plus particulièrement avec les fournisseurs et leurs revendeurs de l’univers des technologies de communications unifiées. Je m’intéresse aujourd’hui au rapprochement et à l’adéquation des technologies avec la réalité opérationnelle du terrain.
En plus de réaliser des audits à l’aide d’une méthodologie éprouvée, je participe au choix des lauréats de prix prestigieux, et j’évoque le présent et l’avenir des centres de contact dans des podcasts et lors d’événements sectoriels.
Merci. D’après vos audits de centres de contact et vos discussions avec des agents, que pensent-ils de l’IA ?
C’est une question très intéressante. Tout dépend de la manière dont l’organisation décide de communiquer auprès des agents sur le pourquoi du comment du déploiement de l’Intelligence Artificielle.
L’une des questions que je pose toujours aux conseillers est la suivante : de toutes les interactions que vous avez en une journée, combien pourraient, selon vous, être gérées par des outils de self-service et l’automatisation ? Une majorité des gens estiment que de nombreuses interactions pourraient basculer vers le libre-service ou être traitées par un agent avec une assistance numérique, et ils sont prêts à les identifier plus précisément auprès des entreprises souhaitant tirer parti de ces options.
Quels sont les avantages de l’IA ? Que peut-elle apporter à un centre de contact ?
Les avantages en termes d’expérience client
C’est une bonne question. L’IA devrait apporter quelque chose en plus à chaque aspect de l’expérience client. Je ne sais plus qui en est l’auteur, mais je trouve que cette déclinaison de l’intérêt de l’IA en quatre A s’applique bien aux centres de contact :
- Analyser – comprendre qui appelle et pourquoi
- Anticiper – sur la base de votre analyse, déterminez pourquoi un client pourrait chercher à vous contacter, si possible intervenez de manière proactive ou, si c’est lui qui vous contacte, déterminez le canal/l’agent qui lui conviendra le mieux
- Améliorer – on parle ici de l’expérience du client et de l’agent, et
- Automatiser – si l’automatisation répond le mieux aux attentes du client. Les clients souhaitent en général une réponse pertinente et rapide, et le self-service répond souvent à ce besoin.
Les avantages en termes d’expérience employé
L’IA et la technologie sont désormais utilisées de manière assez systématique pour améliorer l’expérience des collaborateurs grâce à l’assistance d’agents virtuels, à une meilleure gestion des connaissances et à des fonctionnalités de gestion de la qualité. Les opérations manuelles de Quality Management devraient disparaître d’ici 12 à 18 mois, car l’IA permet de réaliser de réaliser des analyses pertinentes, présentées sous une forme simple et directement exploitable.
Au lieu de passer du temps sur les tâches de collecte de chiffres et d’administration, le responsable d’une équipe pourra se consacrer à l’accompagnement, au suivi et au soutien de ses collaborateurs, pour les aider à trouver la manière d’améliorer chaque interaction. Il aura aussi plus de temps pour des contacts plus humains avec eux, avec à la clé une meilleure expérience employé, ce qui se traduira finalement par une meilleure expérience client.
Selon vous, comment une organisation doit-elle s’y prendre en pratique pour le déploiement de l’IA ?
Elle doit avoir une idée très claire du rôle que jouera l’IA sur les quatre plans déjà cités (analyse, anticipation, amélioration et automatisation), et sur son impact pour les conseillers, l’entreprise et le client. Le déploiement de l’IA ne doit pas faire l’objet d’une stratégie à part ; l’ensemble de l’expérience du client et de l’agent doit être pris en compte.
Malheureusement, on oublie parfois d’inclure les clients dans la boucle. Mal informés, ils peuvent avoir du mal à comprendre les objectifs de la mise en œuvre de l’IA, ou le parcours du client au sens large. S’ils ne sentent pas impliqués dans ce processus, ils auront du mal à cohabiter sereinement avec l’IA.
Avez-vous en tête des exemples concrets de mise en place de l’IA dans un centre de contact ? Comment s’est déroulée cette mise en place ? Quels ont été les défis à relever, et les avantages une fois le déploiement réussi ?
D’ailleurs, je participe actuellement à la sélection de la « Meilleure mise en œuvre de l’IA » dans le cadre d’un prix annuel décerné dans ce secteur. J’ai également participé à ce concours l’année dernière. Je ne citerai aucun nom en particulier, mais les choses ont énormément bougé en un an, avec le développement des grands modèles de langage (LLM) et des réseaux neuronaux, et l’essor de l’IA générative.
Les choses avancent énormément sur les aspects internes, avec le développement rapide de preuves de concept (POC) et le déploiement de modèles d’IA générative pour enrichir la base de connaissances des agents. Les avantages sont immédiats sur la cohérence de la réponse apportée à une même question, quel que soit l’agent ou le canal de communication. C’est très positif.
Les entreprises utilisent également l’IA pour améliorer les chatbots et la reconnaissance vocale biométrique, qui permet d’identifier rapidement un interlocuteur sans passer par une série fastidieuse de questions de sécurité. De nombreux travaux sont en cours à différents niveaux. À ma connaissance, ChatGPT n’est encore utilisé par aucune entreprise pour les interactions avec ses clients, car il est difficile de prévoir ses réponses avec certitude. Des travaux sont cependant en cours dans ce domaine avec pour objectif la fourniture de réponses personnalisées et cohérentes.
Pour conclure, que pensez-vous de l’avenir de l’IA dans le service client ?
Je n’ai pas de boule de cristal. Mais j’ai tendance à penser que :
1. La voix va remplacer le texte
C’est une grande avancée car, au fil des ans, le nombre d’interfaces avec lesquelles un conseiller doit jongler et la quantité de données qu’il doit saisir tout en gérant une conversation ont beaucoup augmenté. C’est à la fois stressant et compliqué. Les messages vocaux (notes vocales) vont se multiplier dans les canaux de messagerie directe. La manière de communiquer et d’agir va changer, c’est une évolution intéressante.
2. Les analyses permettront d’améliorer considérablement l’expérience client
Toutes les interactions ne basculeront pas vers un canal digital ; cette bascule ne devra se faire que quand elle présente un intérêt à la fois pour l’entreprise et aux yeux du client.
Et selon vous, quels sont les pièges potentiels de l’IA que les organisations doivent éviter ?
Outre les risques liés au fait de ne pas donner aux agents voix au chapitre en matière d’IA, quelques autres pièges me viennent à l’esprit.
Se méfier des conséquences inattendues
Tout d’abord, il convient de se méfier d’éventuels effets inattendus de l’usage de l’IA. Prenons l’exemple de la synthèse automatique, l’un des principaux cas d’utilisation de l’IA. Avec cette fonctionnalité, les agents passeront moins de temps sur les tâches post-appel, qui représentent en général 10 % du temps moyen de traitement des transactions. C’est une bonne chose, mais nous devons veiller à ne pas atteindre un taux d’occupation trop élevé, 93 % par exemple, et exiger d’un agent qu’il enchaîne les appels sans s’arrêter. Ce serait un objectif irréaliste, car un agent a besoin de souffler entre deux appels. Surtout s’il sort d’un échange émotionnellement stressant (comme c’est souvent le cas dans les centres de contact traitant de demandes d’indemnisations ou de prestations sociales) ou s’il a eu affaire à un interlocuteur impoli ou agressif.
Ne pas ajuster trop rapidement les effectifs
Il y a un équilibre à trouver entre l’utilisation de la technologie, notamment l’IA, et le recours à des talents humains. C’est une équation difficile à résoudre. 85 % des conseillers dans les centres de contact sont issus de la génération Z, le turnover y est élevé car ces jeunes n’hésitent pas à bouger. L’idée n’est donc pas de réduire les effectifs, mais de limiter progressivement le nombre d’agents au fil des progrès de l’IA.
En conclusion, la prudence est de mise. Les entreprises ont tendance à se ruer vers l’IA, mais n’ayons pas la mémoire courte et évitons de faire les mêmes erreurs que lors de l’adoption des chatbots. Les bots de première génération (dont certains sont encore utilisés aujourd’hui) ont été mal perçus et rejetés, car vus comme une contrainte imposée d’en haut pour faire « comme tout le monde ».
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Un grand merci à Nerys Corfield pour ses éclairages sur l’impact de l’IA sur les centres de contact et les agents. Vous trouverez plus d’informations sur le portail et le programme de relations avec les consultants de RingCentral sur notre plateforme.
Publié le 24 Oct, 2023, mis à jour le 28 Nov, 2023